Dynamique des populations

4.  LA DISPERSION

Étude expérimentale de la dispersion du Criquet migrateur malgache Locusta migratoria capito, dans la nature sur une parcelle de 400 m de côté (d'après M. LECOQ, 1972).

a : Carte des faciès végétaux de la zone expérimentale ; trame claire : faciès xérophile à Heteropogon contortus ; trame sombre : faciès hygrophile à Hyparrhenia rufa : les chiffres indiquent le recouvrement végétal en %.
b : itinéraire de prospection.
c : répartition des criquets autochtones. Un lot d'ailés marqués est laché au centre de la parcelle expérimentale.
d : dispersion des criquets marqués après 24 heures.
e : dispersion des criquets marqués après 3 jours.

La distribution des criquets allochtones marqués tend vers celle des criquets autochtones non marqués.

Le pouvoir de dispersion correspond à la capacité pour les individus d'une espèce de s'éloigner plus ou moins vite et plus ou moins loin de leur aire d'origine.

Chez beaucoup d'acridiens en zone tropicale sèche, le pouvoir de dispersion est grand. Il assure l'expansion territoriale de l'espèce et augmente la probabilité de découvrir des conditions écologiques adaptées. Le caractère exploratoire est élevé chez les larves et chez les ailés mais les capacités de vol des ailés accroissent considérablement les déplacements.

On mesure la dispersion à partir du site d'éclosion. Chez les larves, la dispersion est relativement faible. Celles-ci marchent, sautent en cas de dérangement, s'éloignent les unes des autres ou au contraire restent groupées selon le type phasaire dans lequel elles se trouvent. La distance moyenne parcourue varie selon la taille. Les larves âgées marchent plus loin que les jeunes. On estime qu'elles peuvent parcourir, au cours de leur développement, de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres. Elles sont capables de franchir une mare ou une rivière en flottant.

La dispersion à courte distance est également pratiquée par les ailés pour satisfaire des besoins alimentaires, rechercher un partenaire, découvrir un site de ponte , une zone d'ombre, un perchoir, un abri. Elle est complétée par une possibilité de dispersion à longue distance grâce à l'usage des ailes. Ce mode de locomotion rapide permet de quitter l'habitat d'origine et de s'en éloigner de plusieurs centaines de kilomètres.

Principaux itinéraires de déplacements saisonniers des populations imaginales d'Oedaleus senegalensis dans la cuvette sénégalo-mauritanienne en Afrique de l'Ouest (d'après M. LAUNOIS, 1978a).

Les populations d'Oedaleus senegalensis effectuent chaque année dans cette région comme dans toute l'aire d'habitat de l'espèce en Afrique de l'Ouest, un mouvement d'avance du Sud vers le Nord en début de saison des pluies et un mouvement de recul du Nord vers le Sud en début de saison sèche. Ces mouvements se font parallèlement à ceux du front inter-tropical. Le premier déplacement a lieu à la faveur des vents de mousson de Sud-Ouest. le second, grâce aux vents ue secteur Nord-Nord-Est (harmattan) qui s'établissent avec la saison sèche.

Les abréviations correspondent à la première lettre de chaque mois : M : mai, J : juin, J : juillet, A : août, S : septembre, O : octobre, N : novembre.

La dispersion par vol est à la fois active et passive. Active car dans les essaims, le comportement grégaire assure le maintien de la cohésion du nuage d'ailés. Passive car les acridiens sont soumis aux vents dominants. Ce mécanisme est d'ailleurs bien adapté aux conditions des zones tropicales sèches où les zones de convergence des vents sont également celles où les pluies ont le plus de chance de se produire.

Les espèces aptères ou à ailes non fonctionnelles sont privées de cette faculté. La dispersion est plus lente mais elle peut se faire de proche en proche sur d'assez grandes distances, si les conditions d'environnement restent compatibles avec le maintien de l'espèce plusieurs années consécutives.

Dans toute dispersion, il y a des succès et des échecs. On parle de succès lorsqu'une espèce peut s'implanter durablement dans de nouvelles zones géographiques et d'échec lorsque les ailés meurent avant d'avoir pu assurer une descendance sur place.

Schéma général du cycle biologique de Catantops haemorrhoidalis mettant en évidence les déplacements saisonniers entre les différentes zones écologiques d'Afrique de l'Ouest (d'après J.F. DURANTON, M. LAUNOIS, M.H. LAUNOIS-LUONG & M. LECOQ, 1979a).

Les flèches schématisent le sens général du déplacement des populations aduites. La zone guinéo-soudanienne constitue un refuge pendant la saison sèche pour les imagos en diapause. Avec l'arrivée des pluies, les populations migrent vers le Nord avec les vents de mousson, et vont se reproduire essentiellement au niveau de la zone soudano-sahélienne. Les jeunes ailés nés dans cette région effectuent, à l'approche de la saison sèche, un mouvement de repli vers le sud à la faveur de l'harmattan.

DI : imagos en diapause, L : période de développement larvaire (trait fort horizontal), MS : période de maturation sexuelle des imagos, P : période de ponte.

Principales zones éco-climatiques de l'Afrique de l'Ouest
3 saharo-sahélienne } sahélienne
4 soudano-sahélienne
5 sahélo-soudanienne } soudanienne
6 guinéo-soudanienne
7 guinéenne

On parle souvent d'émigration pour désigner les départs et d'immigration pour les apports extérieurs. Les acridiens nés ailleurs sont qualifiés d'allochtones, on les oppose à ceux qui sont nés sur place ou autochtones.

Il y a des cas où les acridiens sont relativement sédentaires. Hormis le stade œuf, inféodé au sol, les larves et les ailés sont moins mobiles quand les conditions de vie locales sont proches de leur optimum écologique, ou bien quand ils ont peu de possibilités de dispersion (île, montagne, absence d'ailes, ou ailes non fonctionnelles).

Le vol des locustes en phase solitaire est initié par une baisse régulière de luminosité. La température et l'hygrométrie ont aussi leur importance. Lorsque ces deux facteurs ont des valeurs proches de l'optimum écologique, l'activité de l'espèce est réduite et l'acridien explore uniquement le milieu à courte distance. Au contraire, si l'humidité relative est très différente de l'optimum, le pouvoir de dispersion s'accroît et l'acridien se déplace sur de grandes distances.

En définitive, la dispersion permet la colonisation de nouveaux biotopes au prix de la perte d'une fraction de la population. Elle a donc des effets positifs et des effets négatifs. C'est un élément important de la vie des acridiens, au même titre que la natalité et la mortalité dans les interprétations de l'évolution des populations.