Éthologie

2.  LE COMPORTEMENT ALIMENTAIRE

Le comportement alimentaire des acridiens peut être décrit en considérant trois séquences bien distinctes dans le temps : la quête alimentaire, le choix des aliments et la prise de nourriture suivie d'ingestion.

Vue frontale d'un criquet montrant la position des pièces buccales par rapport à la feuille servant de nourriture (d'après S.K. GANGWERE, 1966).

Le criquet maintient la feuille qu'il est en train de consommer sur la tranche, à proximité de la bouche, par les palpes labiaux et maxillaires et plus en arrière par les pattes antérieures.

g : galéa, : labre, lc : lacinia, md : mandibule, pgl : paraglosse, plb : palpe labial, pmx : palpe maxillaire.

2.1.  LA QUÊTE DE NOURRITURE

La quète des plantes consommables est d'une difficulté variable selon les exigences des insectes, le milieu où ils se trouvent et leurs capacités de détection de la nourriture. L'un des cas les plus simples de quête alimentaire est celui des espèces qui vivent en permanence sur la plante-hôte. Poekilocerus hieroglyphicus effectue tout son développement sur Calotropis procera ou Leptadenia pyrotechnica.

La probabilité de découverte de nourriture dépend des chances de rencontre entre l'insecte et la plante. Elle est liée :
  – au volume relatif du végétal par rapport au tapis végétal,
  – aux capacités déambulatoires du criquet,
  – à la faculté de détecter à distance les espèces végétales intéressantes.

Pour ce repérage, le criquet dispose de la vision et de l'odorat grâce à ses chimiorécepteurs sur les antennes et les pièces buccales. Le nombre de sensilles consacrées au goût et à l'odorat est très élevé. Il est estimé à 15000 chez le Criquet migrateur adulte et à 12500 chez le Criquet pèlerin.

2.2.  LE CHOIX DES ALIMENTS

Dès que l'acridien touche une plante, les mécanorécepteurs et les chimiorécepteurs de contact entrent en action. Les stimuli physiques (pilosité, dureté) et les stimuli chimiques (substances volatiles, cires imprégnées de phagostimulants ou de substances répulsives), renseignent l'insecte sur la nature de la plante. Il en déduit l'attitude à adopter.

Dans la mesure où cette première approche n'a pas dissuadé le criquet, celui-ci poursuit ses investigations en mordant la feuille, la fleur ou la graine. Une véritable analyse physico-chimique intervient alors : qualité des tissus végétaux, teneur en sucres, en sels, en substances inhibant ou au contraire incitant à la prise de nourriture.

Les éléments chimiques dissuadants appartiennent à de nombreuses familles : alcaloïdes, glycosides, terpènes, tanins, acides organiques et certaines substances inorganiques (sodium, potassium, calcium, ...). Leurs effets dépendent de leur nature et de leur concentration.

Le choix alimentaire dépend des tolérances et des exigences de chaque espèce. Lorsqu'un acridien consomme un grand nombre de plantes, il est qualifié d'euryphage. S'il n'en accepte qu'un petit nombre, il est dit sténophage. On distingue aussi les acridiens qui se nourrissent exclusivement de graminées, dits graminivores, de ceux qui ingèrent des plantes herbacées non graminéennes, dits forbivores.

Les acridiens sont en majorité euryphages. De ce fait, ils ne sont pas limités dans leur quête de nourriture. Généralement ils se contentent de ce qu'ils trouvent surtout s'ils sont affamés. Les limitations nutritionnelles des sténophages sont d'ordre qualitatif et quantitatif. Bien qu'euryphage, Schistocerca gregaria est contrarié par deux terpénoïdes, l'azadirachtine et le meliantriol, que l'on trouve dans Azadirachta indica et Melia azedarach. Des extraits de graines et de fruits de ces plantes ont été appliqués avec succès sur des cultures pour les protéger des attaques de ce ravageur.

Le comportement alimentaire ne peut être entièrement compris s'il est isolé des autres activités, tels les déplacements à longue distance ou les déplacements journaliers à l'intérieur d'une station car le spectre alimentaire dont dispose l'insecte change. Nomadacris septemfasciata effectue des mouvements quotidiens entre les hautes herbes occupées la nuit et les basses herbes occupées le jour. Le dernier repas au crépuscule et le premier repas du matin sont fournis par les hautes herbes. Les repas de la journée se font aux dépens des basses herbes.

2.3.  LA PRISE DE NOURRITURE

La prise de nourriture est inhibée par le froid. Elle devient presque nulle quand la température du corps descend en dessous de 20°C.

Les repas durent quelques minutes en continu. Ils sont séparés par des intervalles d'une heure et plus. S'il n'est pas perturbé, le criquet mange jusqu'à ce que son jabot soit plein, ce qui représente environ 15 % du poids du corps. En un jour, un acridien peut consommer l'équivalent en matière fraîche de son propre poids. La quantité de nourriture absorbée dépend de la taille et l'âge physiologique des individus.

Un acridien ne s'alimente presque pas pendant la journée qui suit la mue. La consommation augmente ensuite régulièrement pour atteindre un maximum à l'interstade, puis décroît et s'annule le jour précédent la mue suivante. Ce phénomène se répète à chaque stade larvaire. Chez le très jeune ailé, la quantité ingérée est importante pendant la période de durcissement de la cuticule, et de développement des muscles du vol, des gonades et du corps gras ; elle diminue ensuite avec l'âge. Le début de la vitellogenèse chez la femelle ailée coïncide avec un accroissement important de prise de nourriture. A chaque ponte, les quantités absorbées baissent sensiblement ; elles augmentent aux interpontes. Les reproductrices âgées s'alimentent de moins en moins, et meurent après un jeûne de 24 à 48 heures.

Évolution comparée du poids des femelles du Criquet migrateur malgache Locusta migratoria capito, au cours de leur vie imaginale et de la quantité de nourriture quotidienne ingéree (d'après M.H. LAUNOIS-LUONG, 1975).

On distingue trois grandes périodes dans l'évolution du poids des femelles :
  – la période pré-reproductive qui s'étend de la mue imaginale à la 1re ponte,
  – la période reproductive, de la 1re ponte à la dernière ponte,
  – la période post-reproductive, de la dernière ponte à la mort.

Le poids des femelles double pendant la période pré-reproductive ; il subit ensuite des fluctuations au cours des pontes successives et dans l'ensemble diminue régulièrement d'une ponte à la suivante.

L'évolution de la prise de nourriture, appréciée par le poids des fèces, suit une courbe parallèle et l'on constate une décroissance le jour de la ponte et une diminution progressive tout au long de la vie jusqu'à la mort de l'insecte.

En ordonnée :
trait plein : poids des femelles en mg,
trait pointillé : poids des feces en mg.

En abscisse (chaque division correspond à une journée) :
1 à 7 pontes successives.
MI : mue imaginale, V : déclenchement de la vitellogenèse, PR : période pré-reproductive, R : période reproductive, PTR : période post-reproductive.