Le polyphénisme phasaire

Le polyphénisme phasaire désigne les formes successives que prennent les états apparents ou phases d'une même chose en évolution. Cette expression s'applique ici aux locustes qui ont la possibilité de présenter des aspects variés et réversibles selon les conditions de vie passées et présentes, surtout au plan densitaire.

Deux pôles phasaires séparés par des étapes intermediaires signiticatives.

Certains acridiens possèdent la surprenante faculté de se transformer radicalement, au fil des générations, sous l'effet de la densité des congénères, forme particulière d'adaptation à de nouvelles situations d'environnement.

Exemple de différences morphologiques phasaires chez Schistocerca gregaria (d'après B.P. UVAROV, 1923).

A : vue dorsale de la tête et du pronotum d'un imago en phase grégaire.
B : vue latérale du pronotum d'un imago en phase solitaire.
C : Vue dorsale de la tête et du pronotum d'un imago en phase solitaire.


Fondamentalement, il existe deux phases extrêmes : la phase solitaire et la phase grégaire mais le passage des individus grégariaptes d'une phase à l'autre se fait par les intermédiaires dont les plus importants sont transiens congregans pour désigner le passage des solitaires aux grégaires et transiens dissocians pour le passage inverse ; le phenomène étant réversible.

En réalité, ces quatre classes ne correspondent qu'à une simplification de la réalité car les formes intermédiaires sont fort nombreuses. Les différents caractères de la transformation phasaire n'évoluent pas à la meme vitesse selon les espèces et les conditions qu'elles subissent.

1.  DÉFINITION DES PHASES

Locusta migratoria et Locusta danica étaient considérés comme deux espèces différentes jusqu'en 1921, où on a supposé qu'il s'agissait en fait de deux formes différentes d'une seule et même espèce :
  – l'une caractérisant les populations grégaires,
  – l'autre les populations solitaires.

L'existence de deux pôles phasaires a depuis été observée et prouvée chez d'autres espèces comme Locustana pardalina, Schistocerca gregaria, Nomadacris septemfasciata, Dociostaurus maroccanus, ... Les formes intermédiaires ont été appelées transiens. Dans le cas d'une évolution de la forme solitaire vers la forme grégaire, on parle de transiens congregans et dans le cas inverse de transiens dissocians.

Pour les acridiens, les différences phasaires sont très profondes : la morphologie, l'anatomie, la physiologie, le comportement, sont affectés. Les changements varient selon les espèces et sont généralement gradués en fonction du choc densitaire subi.

L'expression du polyphénisme phasaire est liée essentiellement aux conditions de l'environnement social de chaque acridien grégariapte mis en présence ou au contraire isolé de ses congénères. Le principal facteur déclenchant est la densité : des individus grégaires ou solitaires peuvent être obtenus à partir d'une même ponte simplement en élevant les larves nouveau-nées en groupe ou isolément. Les premières modifications divergentes sont renforcées si la même contrainte est imposée à la génération suivante.

Les phases de Locustana pardalina (d'après B.P. UVAROV, 1928).

A, B, C : phase grégaire.
  – A : vue dorsale du pronotum,
  – B : vue latérale de la tête et du pronotum,
  – C : élytre.

D, E, F  : phase solitaire.
D : vue dorsale du pronotum,
E : vue latérale du pronotum,
F : élytre.

En simplifiant, il suffit de rassembler des individus d'une même espèce grégariapte pour observer des effets immédiats sur eux-mêmes (changement de livrée tégumentaire, de comportement) et des effets transmis sur leur descendance (variation du nombre d'ovarioles et du nombre de tubes séminifères, changement de forme générale et de physiologie). À l'inverse, l'isolement des grégaires aboutit rapidement à la différenciation de solitaires dans la descendance.

D'autres facteurs interviennent dans l'expression du polyphénisme phasaire en renforçant ou en réduisant les effets du choc densitaire subi :
  – la photopériode,
  – la température,
  – la sécheresse,
  – la pauvreté de l'alimentation,
  – la teneur de l'air en gaz carbonique,
  – la salinité du sol.

Régions du monde sujettes aux infestations de criquets (locustes et sauteriaux).

Deux cartes localisant le probleme acridien, l'une faite en 1928 (in B.P. UVAROV, 1928), l'autre en 1967 (in FAO, 1967), montrent qu'il y a des régions entières concernées par ce problème. On observe des différences notables de répartition qui peuvent etre dues soit à des origines differentes d'information, soit rendre compte du caractère intermittent des invasions. La zone inter-tropicale est la plus touchée mais il y a aussi des infestations dans des régions tempérées, surtout dans les grandes plaines céréalières de la Russie, des USA et du Canada.

NB : Pour la carte de 1928, les zones noires sont considérées comme étant soumises à des invasions régulières de locustes et de sauteriaux, les zones grises étant envahies occasionnellement.