Le polymorphisme phasaire

7.  LE COMPORTEMENT DES ESSAIMS

Les essaims sont formés d'ailés grégaires appartenant généralement à une seule espèce. Bien qu'en majorité constitués de locustes, il arrive que des sauteriaux comme Acrotylus blondeli, Pyrgomorpha cognata, Oedaleus senegalensis, s'y intègrent. Ces essaims mixtes sont souvent de structure plus lâche.

La dimension des essaims du Criquet pèlerin, Schistocerca gregaria, varie de moins d'un kilomètre carré à plusieurs centaines de kilomètres carrés. Un essaim de densité moyenne contient environ 50 millions d'ailés par kilomètre carré. Le nombre total d'individus varie donc de quelques centaines de millions à quelques dizaines de milliards. La densité volumique est généralement comprise entre 0,001 et 10 criquets par mètre cube.

La forme générale des essaims en déplacement rappelle celle des nuages car les criquets dépendent des mêmes facteurs aérologiques. Ils subissent les mêmes lois relatives à l'action des courants aériens de convection thermique.

On distingue deux types principaux d'essaims :
  – les essaims cumuliformes ont la forme des cumulus. Les ailés volent à haute altitude, de 1000 à 3000 mètres, aidés par des courants verticaux dont la vitesse ascendante est de l'ordre de 160 mètres par minute. Dans de telles conditions, la densité des individus est faible : 0,0001 à 0,06 ailé au mètre cube.
  – les essaims stratiformes ont des dimensions plus réduites car ils sont liés à des courants aériens plus faibles. Leur forme est aplatie, en nappe. Les ailés volent à basse altitude (jusqu'à 1000 mètres d'altitude). Le contour est bien défini à l'avant mais reste diffus à l'arrière. La densité moyenne est élevée : de 1 à 13 ailés au mètre cube.

A : Représentation schématique des atterrissages et des décollages au sein d'un petit essaim volant à basse altitude (d'après B.P. UVAROV, 1977).

L'échelle verticale est dix fois plus grande que l'échelle horizontale. La flèche horizontale indique la direction générale du mouvement de l'essaim.

B : Vitesse au sol d'essaims de Schistocerca gregaria par rapport à la vitesse du vent (d'après R.C. RAINEY, 1963).

À l'intérieur d'un essaim en vol, les directions individuelles sont très variées. Cette agitation d'apparence désordonnée n'est pas sans rappeler le mouvement brownien des molécules gazeuses (agitation thermique). Les collisions sont rares, ce qui laisse supposer que chaque criquet est capable d'apprécier sa position. La direction générale de l'essaim est directement influencée par le vent dominant, à condition que la force du vent soit supérieure à celle de chaque criquet se déplaçant par ses seuls moyens (de 2,5 à 7 mètres par seconde chez Schistocerca).

En général, les ailés grégaires du Criquet pèlerin volent le jour et se posent sur la végétation ou sur le sol la nuit. On a vu pourtant des vols d'essaims se poursuivre au-delà du crépuscule, pendant les nuits chaudes.

A : Direction et vitesse de déplacement d'essaims de Schistocerca gregaria en fonction de la direction du vent (d'après R.C. RAINEY, 1963).

Les étoiles correspondent à des essaims volant à plus de 900 mètres au-dessus du sol.

B : Positions successives d'un essaim de Schistocerca americana observé entre le 17 juillet et le 8 août 1934 dans la région de Santa Fe (Argentine) (d'après J.B. DAGUERRE, 1936).

Les flèches indiquent la direction du vent.

Le schéma journalier d'activités d'ailés immatures grégaires de Schistocerca gregaria peut être décrit par les séquences suivantes :
  – une heure après le coucher du soleil et jusqu'à l'aube, l'essaim est posé sur la végétation ou le sol,
  – dès le lever du soleil, des déplacements lents par marche, accompagnés de quelques sauts et de petits vols, ont lieu en cas de dérangement,
  – vers 8 heure, les criquets se chauffent au soleil en groupes denses. Ils se disposent perpendiculairement aux rayons incidents pour augmenter plus rapidement leur température,
  – le décollage a lieu entre 9 heure et 10 heure. Les criquets utilisent les premiers courants ascendants pour prendre de l'altitude, en formation tourbillonnante plus ou moins confuse dans ses contours,
  – de 10 heure au crépuscule, l'essaim est en phase de progression aérienne. Il se produit un brassage permanent entre les criquets au sol et ceux en vol. Un grand nombre se posent sur le front et redécollent à l'arrière pour rejoindre leurs congénères. L'essaim progresse donc par un échange continuel des ailés entre le sol et l'air. Du fait de l'atterrissage fréquent des ailés en dessous du nuage, la vitesse de l'essaim atteint à peine la moitié de la vitesse du vent (environ 6 kilomètres à l'heure).

Peu après le coucher du soleil, les ailés descendent à terre ou sur la végétation pour se nourrir et se reposer.

La durée de présence au sol augmente en période de ponte ou d'accouplement. Des accumulations considérables d'oothèques peuvent se produire sur des surfaces restreintes, ce qui renforce la probabilité d'observer une descendance grégaire si les conditions de développement des oeufs et des larves restent propices à la génération suivante.