Le polymorphisme phasaire
3. LES CARACTÈRES PHASAIRES DISTINCTIFS
Les formes solitaire et grégaire des locustes sont très dissemblables sur les plans morphologique, pigmentaire, anatomique, physiologique, éthologique, biologique, écologique. Ceci explique pourquoi elles ont été autrefois considérées comme des espèces différentes.
3.1. LA MORPHOLOGIE
Les larves et les ailés de Locusta en phase solitaire et dans une moindre mesure, ceux de Schistocerca, se distinguent des individus de phase grégaire par la carène dorsale du pronotum en forme de crête et non déprimée ou droite. Leur taille est différente. Les ailés solitaires
Schistocerca et Nomadacris, comme les femelles Locusta, sont plus grands que les grégaires. Par contre, les ailés solitaires Locustana, Dociostaurus et les mâles Locusta, sont plus petits. Des tendances opposées en fonction du sexe sont donc observées. Les variations de taille sont à rapprocher des différences de métabolisme de croissance des œufs, des larves et des ailés mais aussi de l'intercalation d'une mue supplémentaire (Schistocerca, Nomadacris). Elles sont
quantifiées par des mesures et des rapports morphologiques privilégiés.
3.2. LA PIGMENTATION
La plupart des larves de locustes en phase solitaire sont caractérisées par une pigmentation uniforme, le plus souvent verte ou brune selon l'humidité et la couleur générale de l'environnement. Les larves grégaires de Schistocerca et Nomadacris se distinguent au contraire par une livrée sombre, à base de taches noires sur fond jaune et orangé.
Les différences de pigmentation entre solitaires et grégaires s'atténuent chez les adultes. La couleur générale du corps est souvent plus sombre chez les grégaires et surtout moins variable en fonction de l'environnement. Les adaptations mimétiques ne sont donc pas semblables.
Principaux effets de l'augmentation des densités sur les locustes d'après des travaux de laboratoires (in B.P. UVAROV, 1966).
Certains caractères évoluent dans le même sens chez les différents locustes alors que d'autres varient dans le sens contraire. Ces résultats semblent montrer que l'existence des deux phases a des significations différentes pour la survie ou la dissémination selon les espèces et qu'il y a probablement des avantages dissemblables peut-être contradictoires à l'existence de chacune des deux phases.
A : Locusta, B : Schistocerca, C : Nomadacris, D : Locustana, E : Dociostaurus, E : Chortoicetes.
+ : en augmentation, – : en diminution, 0 : pas d'effet.
LARVES À L'ÉCLOSION |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
Poids et taille |
+ |
+ |
+ |
|
|
|
Teneur en eau |
0 |
+ |
+ |
|
|
|
Réserves nutritives |
+ |
+ |
+ |
|
|
|
Vitalité |
+ |
+ |
+ |
|
|
|
LARVES |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
Mélanine |
+ |
+ |
+ |
+ |
|
|
Insectorubine |
+ |
+ |
+ |
|
|
|
Métabolisme respiratoire |
+ |
+ |
|
|
|
|
Activité |
+ |
+ |
|
|
|
|
Taux de développement |
+ |
+ |
+ |
|
|
|
Nombre de stades larvaires |
0 |
– |
– |
|
|
|
ADULTES |
A |
B |
C |
D |
E |
F |
Taille des mâles |
– |
– |
– |
+ |
+ |
+ |
Taille des femelles |
– |
– |
– |
+ |
+ |
+ |
Activité |
+ |
+ |
|
+ |
|
|
Taux de maturation |
– |
+ |
+ |
|
|
|
Nombre d'ovarioles |
– |
– |
– |
|
|
|
Nombre d'œufs par ponte |
– |
– |
– |
+ |
+ |
– |
Nombre de pontes par femelle |
– |
– |
– |
|
|
|
Nombre total d'œufs pondus |
– |
– |
– |
|
|
|
Viabilité des œufs |
– |
– |
– |
|
|
|
3.3. L'ANATOMIE
Le nombre d'ovarioles des femelles grégaires est souvent inférieur à celui des femelles solitaires. Quinze jours de regroupement imposé à des femelles Locusta migratoria capito suffisent à induire dans leur descendance des caractéristiques différentes. Le nombre moyen d'ovarioles diminue de 19 % (de 106 à 86) et le nombre moyen de tubes séminifères de 10 % (de 294 à 264).
3.4. LA PHYSIOLOGIE
Les formes grégaires ont un métabolisme plus intense que les solitaires. Les locustes grégaires consomment davantage de nourriture, produisent des œufs moins nombreux mais plus gros que les solitaires. Généralement, la diminution du nombre d'œufs pondus est observée chez Schistocerca, Locusta, Nomadacris. L'inverse est noté chez Locustana et Dociostaurus.
3.5. L'ÉTHOLOGIE
Les grégaires tendent à imiter les gestes de leurs congénères proches et à maintenir activement le groupe en bandes larvaires ou en essaims. Les solitaires vivent isolés, sauf lors du rapprochement sexuel ou de rassemblements fortuits sur des plantes ou des sites favorables. Les solitaires volent de préférence la nuit, les grégaires le jour. Des exceptions sont connues ; Anacridium mœstum a le comportement inverse.
3.6. LA BIOLOGIE
Le développement des solitaires est un peu plus rapide que celui des grégaires. Locusta a 4 générations annuelles en phase solitaire et 3 en phase grégaire. Il y a là une contradiction apparente avec le métabolisme plus élevé des grégaires. L'intensité des diapauses
embryonnaire et imaginale peut aussi varier. Les grégaires volent plus longtemps et plus loin
que les solitaires. Ils utilisent en outre des systèmes de vents différents.
3.7. L'ÉCOLOGIE
Par suite de leur plus grande résistance aux facteurs du milieu et à leur potentialité accrue de dispersion, les grégaires occupent une aire géographique plus étendue que celle des solitaires. Ces derniers sont plus exigeants vis-à-vis de leur environnement.
Les caractères phasaires distinctifs sont donc nombreux, variés, gradués. Chaque espèce a ses particularités et sa propre sensibilité au groupement.
Différences de réponse de Schistocerca gregaria selon ses états biologiques (œufs, larves, ailés) en phase solitaire (S) et en phase grégaire (G) vis-à-vis de quelques facteurs de l'environnement (d'après J.-F. DURANTON & M. LAUNOIS, 1980).
Chez les grégaires, les œufs sont en moyenne déposés dans des milieux plus humides et plus riches en argile.
Larves et ailés se trouvent, par rapport aux solitaires, dans des milieux plus humides, plus chauds, aux formations végétales plus rases ; ils ont un régime alimentaire moins strict, plus polyphage.
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