Le polymorphisme phasaire
6. LA FORMATION DES ESSAIMS
La naissance d'un essaim de criquets grégaires, à partir de locustes en phase solitaire, dépend de trois processus liés les uns aux autres :
– la concentration,
– la multiplication,
– la grégarisation.
Les deux premières étapes permettent d'obtenir rapidement des effectifs élevés sur des superficies restreintes. La concentration est le plus souvent réalisée par le regroupement des ailés reproducteurs par les vents convergents ; la multiplication est favorisée par le maintien de conditions écologiques optimales pendant le temps de maturation sexuelle des parents, le
développement des œufs et celui des larves qui en résultent. Lorsqu'une densité critique, variable selon les acridiens, est atteinte, la grégarisation commence. Celle-ci se manifeste chez les larves par la formation de taches puis de bandes. L'existence de ces formations est un préalable indispensable à la constitution d'essaims car les imagos issus de larves groupées ont tendance à maintenir activement la cohésion.
Un premier essaim d'individus grégaires nés de parents solitaires est qualifié d'essaim primitif. Si les parents étaient déjà grégaires, on parle d'essaim secondaire. En général, il faut deux générations successives de grégarisation croissante pour atteindre la phase grégaire de chaque espèce.
|
Départ d'un essaim d'acridiens.
La constitution d'un essaim primitif suppose une grande simultanéité des mues imaginales et une inter-attractivité entre individus encourageant les jeunes ailés à rester un moment sur leurs perchoirs à proximité des sites de mues des dernières larves. Lorsque le nombre d'ailés est suffisamment grand, il se forme des essaims tourbillonnants qui se structurent progressivement en nuages sous l'impulsion conjuguée des effets du vent et des instincts de cohésion propres aux transiens congregans et aux grégaires.
|
Chez Locusta migratoria, la formation d'un essaim primitif à partir de bandes larvaires exige plusieurs conditions précises pour éviter le désamorçage des processus de grégarisation. Ce sont :
– la réalisation de l'optimum écologique pendant deux mois consécutifs,
– le maintien d'effectifs élevés, environ 100 000 ailés par hectare (seuil de déclenchement des premières manifestations phasaires à 2 000 ailés par hectare),
– des mues imaginales presque synchrones, ne dépassant pas le temps nécessaire au durcissement cuticulaire, soit 5 à 10 jours,
– un rassemblement des jeunes ailés sur les perchoirs bas où ont lieu les mues imaginales,
– le maintien sur place par suite des conditions aérologiques locales : brise de terre, brise de mer, ascendances faibles, vents convergents.
Les premières formations d'ailés grégaires ont un aspect tourbillonnant. L'essaim primitif prend une direction de vol un peu plus tard.
Il arrive que l'essaim se fragmente et perde sa cohésion, soit parce que la grégarité est trop faible, soit parce que les conditions locales ont un effet dispersif, soit parce que les effectifs deviennent trop réduits. Il se forme alors des transiens dissocians. La vitesse de dégrégarisation est variable selon :
– la nature de l'habitat,
– les effets des vents locaux,
– le passé des ailés issus de parents solitaires ou grégaires,
– l'importance des baisses de densités par dispersion des ailés ou par mortalité.
Des épidémies, le climat (période très sèche au milieu de la saison des pluies), la pression des prédateurs, sont autant de causes susceptibles de réduire la taille des essaims, leur nombre et la grégarisation.
Variations mensuelles du nombre apparent de bandes larvaires et d'essaims du Criquet migrateur Locusta migratoria capito à Madagascar de 1950 à la fin de l'invasion en 1958 (d'après M. LAUNOIS, 1974e).
Les variations mensuelles et annuelles de l'importance des pullulations larvaires et imaginales du Criquet migrateur malgache montrent que de janvier 1950 à janvier 1958, le nombre de bandes larvaires détectées chaque annee et celui des essaims n'ont pas subi de ralentissement progressif malgré le renforcement des moyens de traitement. Or en 1958, il n'y a plus aucune formation alors que les effectifs de l'année precédente ne permettaient pas de le prévoir. On peut en déduire que la fin de l'invasion de cet acridien n'est pas due aux seules interventions humaines mais plus probablement aux effets de facteurs météorologiques qui se sont révélés catastrophiques pour les individus en phase grégaire.
Différentes formes d'essaims en vol (in FAO, 1967).
A : essaim de type cumuliforme fréquent chez Schistocerca gregaria par temps frais. B : essaim de type stratiforme fréquent chez Locusta migratoria migratorioides et Chortoicetes terminifera.
|