Le polymorphisme phasaire

9.  AIRES GRÉGARIGÈNES ET FOYERS DE GRÉGARISATION

Classiquement, on distingue pour les locustes de zone tropicale sèche, les aires grégarigènes des foyers de grégarisation.

Définition symbolique de quatre concepts importants dans l'organisation de la lutte contre les locustes.

Les foyers de grégarisation peuvent exister dans l'ensemble de l'aire d'habitat permanent de l'espèce mais seuls ceux situés dans l'aire grégarigène risquent de conduire à un départ d'invasion généralisée.

Les aires grégarigènes sont un ensemble de régions entre lesquelles se font des échanges réguliers de populations, aboutissant certaines années à de véritables grégarisations. Elles forment donc des ensembles fonctionnels géographiquement définis et sont inclues dans l'aire d'habitat permanent de l'espèce.

Les foyers de grégarisation désignent les lieux où s'accomplit effectivement la grégarisation. Ils sont compris dans les aires grégarigènes et, en conséquence, sont de superficie plus restreinte.

Ces notions ont beaucoup aidé à l'organisation de la surveillance et de la lutte car il était à la fois logique et économique de concentrer les moyens sur les aires de départ d'invasion. Cependant, en plusieurs circonstances, on s'est aperçu que des grégarisations se produisaient hors des aires grégarigènes. On a donc modifié les limites géographiques jusqu'au moment où l'on s'est rendu compte que ce ne sont pas les aires qui sont grégarigènes mais certaines conditions écologiques. Il reste vrai que les conditions de grégarisation ont plus de chances de se réaliser dans certains sites dont les contours géographiques peuvent être précisés – ce qui justifie la concentration des moyens de lutte – mais il faut aussi s'attendre à ce que ces conditions puissent apparaître exceptionnellement ailleurs, ce qui modifie sensiblement la stratégie globale de lutte préventive, surtout sur le plan de la signalisation.

Foyers de grégarisatlon de Schistocerca gregaria (en noir) et de Locusta migratoria migratorioides (hachures verticales) en Afrique de l'Ouest (inspiré de O.M.S. ABDALLAHI, R. SKAF, J.M. CASTEL & A. NDIAYE, 1979).

Les cartes représentent les lignes isohyètes annuelles en millimètres d'eau.

I : Adrar des Iforas, H : Hoggar, T : Tamesna, A : Aïr, Ti : Tibesti.

Les grands dégâts potentiels dus aux sauteriaux se situent principalement entre les lignes isohyètes annuelles 200 et 1000 mm (zone grise).

Chaque locuste doit satisfaire des exigences particulières pour réaliser la transformation phasaire de l'état solitaire à l'état grégaire. C'est pourquoi les foyers de grégarisation connus diffèrent selon les espèces. En Afrique, par exemple :
  – chez Locusta, ils se trouvent dans le delta central du Niger au Mali, dans la cuvette du lac Tchad et probablement dans la région du Nil Bleu au Soudan,
  – chez Nomadacris, les foyers de grégarisation les plus connus sont ceux de la vallée du Rukwa en Tanzanie et les bords du lac Mweru en Zambie,
  – chez Schistocerca gregaria, les foyers en Afrique de l'Ouest seraient très disjoints dans l'espace. Beaucoup semblent circonscrits aux zones d'épandage des grands oueds sahariens alimentés par les massifs montagneux désertiques, d'autres aux régions côtières sableuses soumises à de fortes pluviosités.

Si la notion de foyer de grégarisation peut être utilisable en tenant compte de quelques restrictions, celle d'aire grégarigène est beaucoup plus difficile à justifier. En effet, on connaît encore mal le mécanisme des échanges de populations solitaires à grande distance, excepté pour le Locusta au Mali, à Madagascar et en Australie. Dans ces conditions, les limites établies pour les autres espèces ont de grandes chances d'être arbitraires.

L'effort actuel porte sur la définition et la quantification des conditions grégarigènes propres à chaque espèce de locuste. En suivant l'évolution spatiale et temporelle de ces conditions, on peut espérer une certaine précision dans l'appréciation des risques de grégarisation. Même en adoptant la notion pratique d'aire de grégarisation, il importe d'en suivre l'évolution dans le temps sous l'effet des aménagements agricoles humains car les risques de grégarisation peuvent s'en trouver augmenter ou diminuer selon les circonstances. La situation est souvent complexe et seule une étude approfondie et continue peut permettre une appréciation raisonnable des risques encourus.